De 18 Septembre 2020 14:00 jusqu'au 18 Septembre 2020 16:30
À Maison de Quartier Le FLORIDA
Posté par Super Utilisateur
Catégories: Conférence de J. Ghio-Gervais
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LA MER textes
Oceano Nox
extrait du recueil Les rayons et les ombres V. HUGO 1802-188
Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis !
Combien ont disparu, dure et triste fortune !
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l'aveugle océan à jamais enfouis !
Combien de patrons morts avec leurs équipages !
L'ouragan de leur vie a pris toutes les pages
Et d'un souffle il a tout dispersé sur les flots !
Nul ne saura leur fin dans l'abîme plongée.
Chaque vague en passant d'un butin s'est chargée ;
L'une a saisi l'esquif, l'autre les matelots !
Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !
Vous roulez à travers les sombres étendues,
Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus.
Oh ! que de vieux parents, qui n'avaient plus qu'un rêve,
Sont morts en attendant tous les jours sur la grève
Ceux qui ne sont pas revenus !
On s'entretient de vous parfois dans les veillées.
Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouillées,
Mêle encor quelque temps vos noms d'ombre couverts
Aux rires, aux refrains, aux récits d'aventures,
Aux baisers qu'on dérobe à vos belles futures,
Tandis que vous dormez dans les goémons verts !
On demande : - Où sont-ils ? sont-ils rois dans quelque île ?
Nous ont-ils délaissés pour un bord plus fertile ? -
Puis votre souvenir même est enseveli.
Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire.
Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire,
Sur le sombre océan jette le sombre oubli.
Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue.
L'un n'a-t-il pas sa barque et l'autre sa charrue ?
Seules, durant ces nuits où l'orage est vainqueur,
Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,
Parlent encor de vous en remuant la cendre
De leur foyer et de leur coeur !
Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière,
Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre
Dans l'étroit cimetière où l'écho nous répond,
Pas même un saule vert qui s'effeuille à l'automne,
Pas même la chanson naïve et monotone
Que chante un mendiant à l'angle d'un vieux pont !
Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ?
O flots, que vous savez de lugubres histoires !
Flots profonds redoutés des mères à genoux !
Vous vous les racontez en montant les marées,
Et c'est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez le soir quand vous venez vers nous!
Texte n° 2 L’homme et la mer. C. BAUDELAIRE 1821- 1867 extrait du recueil : Les fleurs du mal.
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !
Texte n° 3 Le Mousse Tristan Corbière 1845-1875
Extrait du recueil Les Amours jaunes.
Mousse : il est donc marin, ton père ?…
– Pêcheur. Perdu depuis longtemps.
En découchant d’avec ma mère,
Il a couché dans les brisants …
Maman lui garde au cimetière
Une tombe – et rien dedans –
C’est moi son mari sur la terre,
Pour gagner du pain aux enfants.
Deux petits. – Alors, sur la plage,
Rien n’est revenu du naufrage ? …
– Son garde-pipe et son sabot …
La mère pleure, le dimanche,
Pour repos… Moi : j’ai ma revanche
Quand je serai grand – matelot ! –
Texte n° 4 A Philis Pierre de Marbeuf 1596-1635 sonnet
Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer est amère, et l'amour est amer,
L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,
Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.
Celui qui craint les eaux, qu'il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,
Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.
La mère de l'amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau,
Mais l'eau contre ce feu ne peut fournir des armes.
Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.
Texte n° 5 « Trois jours de Christophe Colomb ».
Casimir DELAVIGNE 1793-1843 extrait du recueil
« Les Messéniennes ». (alexandrins)
En Europe ! en Europe ! - Espérez - Plus d'espoir !
- Trois jours, leur dit Colomb, et je vous donne un monde."
Et son doigt le montrait, et son oeil, pour le voir,
Perçait de l'horizon l'immensité profonde.
Il marche, et des trois jours le premier jour a lui ;
Il marche, et l'horizon recule devant lui ;
Il marche, et le jour baisse. Avec l'azur de l'onde
L'azur d'un ciel sans borne à ses yeux se confond.
Il marche, il marche encore, et toujours ; et la sonde
Plonge et replonge en vain dans une mer sans fond.
Le pilote, en silence, appuyé tristement
Sur la barre qui crie au milieu des ténèbres,
Écoute du roulis le sourd mugissement,
Et des mâts fatigués les craquements funèbres.
Les astres de l'Europe ont disparu des cieux ;
L'ardente Croix du Sud épouvante ses yeux.
Enfin l'aube attendue, et trop lente à paraître,
Blanchit le pavillon de sa douce clarté.
"Colomb, voici le jour ! le jour vient de renaître!
- Le jour! et que vois-tu ? -je vois l'immensité, "
Qu'importe! il est tranquille... Ah! l'avez-vous pensé ?
Une main sur son coeur, si sa gloire vous tente,
Comptez les battements de ce coeur oppressé
Qui s'élève et retombe, et languit dans l'attente...
Le second jour a fui. Que fait Colomb ? il dort -
La fatigue l'accable, et dans l'ombre on conspire.
"Périra-t-il ? Aux voix : - La mort ! - la mort! - la mort !
- Qu'il triomphe demain, ou, parjure, il expire."
Les ingrats ! quoi ! demain il aura pour tombeau
Les mers où son audace ouvre un chemin nouveau !
Et peut-être demain leurs flots impitoyables,
Le poussant vers ces bords que cherchait son regard,
Les lui feront toucher, en roulant sur les sables
L'aventurier Colomb, grand homme un jour plus tard !...
Soudain, du haut des mâts descendit une voix :
"Terre ! s'écriait-on, terre ! terre ! ... " Il s'éveille ;
Il court. Oui, la voilà ! c'est elle, tu la vois !
La terre !... Ô doux spectacle ! ô transports ! ô merveille !
Ô généreux sanglot qu'il ne peut retenir !
Que dira Ferdinand, l'Europe, l'avenir ?
Il la donne à son roi, cette terre féconde ;
Son roi va le payer des maux qu'il a soufferts :
Des trésors, des honneurs en échange d'un monde,
Un trône, ah ! c'était peu !... Que reçut-il ? Des fers.
Texte n° 6 Brise marine de Stéphane Mallarmé 1842-1898
Extrait du recueil « Vers et prose » 1893
La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature !
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,
Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots …
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots !
Texte n° 7 La mer secrète Jules Supervielle 1884-1960
Extrait du recueil « La fable du monde. »
Quand nul ne la regarde,
La mer n’est plus la mer,
Elle est ce que nous sommes
Lorsque nul ne nous voit.
Elle a d’autres poissons,
D’autres vagues aussi.
C’est la mer pour la mer
Et pour ceux qui en rêvent
Comme je fais ici.
Texte n° 8 La mer proche Extrait du recueil « Gravitations »
La mer n'est jamais loin de moi, À deux pas elle sait m'attendre. Texte n° 9 Je regarde la mer Jean Cocteau 1889-1963 Extrait du recueil « Plain-chant » Je regarde la mer qui toujours nous étonne Parce que, si méchante, elle rampe si court. Et nous lèche les pieds comme prise d’amour Et d’une moire en lait sa bordure festonne. Lorsque j’y veux plonger, son champagne m’étouffe; Mes membres sont tenus par un vivant métal; Tu sembles retourner à ton pays natal Car Vénus en sortit sa fabuleuse touffe. Ce poison qui me glace est un vin qui t’enivre. Quand je te vois baigner je suis sûr que tu mens; Le sommeil et la mer sont tes vrais éléments! Hélas! Tu le sais trop, je ne peux pas t’y suivre. N.B. Le poème suivant étant très long, ne sera pas lu, faute de temps. 144 alexandrins. Texte n° 10 Le cimetière marin Paul Valéry 1871-1945 Ce toit tranquille, où marchent des colombes, Texte n° 11 L’aventure marine René-Guy CADOU extrait du recueil « Hélène ou le règne végétal » Sur la plage où naissent les mondes Et l’hirondelle au vol marin Il revenait chaque matin Les yeux brûlés de sciure blonde Son cœur épanoui dans ses mains Il parlait seul. Son beau visage Ruisselait d’algues. L’horizon Le roulait dans ses frondaisons D’étoiles et d’œillets sauvages Amour trop fort pour sa raison « Soleil, disait-il, que l’écume Soit mon abeille au pesant d’or Je prends la mer et je m’endors Dans la corbeille de ses plumes Loin des amis restés au port Ah que m’importent ces auberges Et leurs gouttières de sang noir Les rendez-vous du désespoir Dans les hôtels meublés des berges Où les filles font peine à voir J’ai préféré aux équipages Le blanc cheval de la marée Et les cadavres constellés Qui s’acheminent vers le large À tous ces sourires navrés La mort s’en va le long des routes Parfume l’herbe sur les champs Il fait meilleur dans le couchant Parmi les anges qui écoutent Les coraux se joindre en tremblant » Il disait encor maintes choses Où de grands cris d’oiseaux passaient Et des feux rouges s’allumaient Sur sa gorge comme les roses Dans les premiers matins de mai On vit s’ouvrir les portes claires Les sémaphores s’envoler Et des ruisseaux de lait couler Vers les étables de la terre D’où l’homme s’en était allé Ébloui par tant de lumière Il allait regardant parfois La fumée courte sur le toit L’épaule ronde des chaumières Sans regretter son autrefois Car il portait sur sa poitrine Les tatouages de son destin Qui disent « Soleil et bon grain » À tous les hommes qui devinent L’éternité dans l’air marin. Texte n° 12 extrait d’ Un barrage contre le Pacifique de Marguerite DURAS . Il y avait maintenant six ans qu’elle était arrivée dans la plaine accompagnée de Joseph et de Suzanne, dans cette Citroën B.12 qu’ils avaient toujours. Dès la première année elle mit en culture la moitié de la concession. Ell espérait que cette première récolte suffirait à la dédommager en grande partie des frais de construction du bungalow. Mais la marée de juillet monta à l’assaut de la plaine et noya la récolte. Croyant qu’elle n’avait été bvictime que d’une marée particulièrement forte, et malgré les gens de la plaine qui tentaient de l’en dissuader, l’année d’après la mère commença. La mer monta encore. Alors elle dût se rendre à la réalité, sa concession était incultivable. Elle était annuellement envahie par la mer. Il est vrai que la mer ne montait pas à la même hauteur chaque année. Mais elle montait toujours suffisamment pour brûler tout directement ou par infiltration. Exception faite des cinq hectares qui donnaient sur la piste, et au milieu desquels elle avait fait bâtir son bungalow, elle avait jeté ses économies de dix dans les vagues du Pacifique. Le malheur venait de son incroyable naïveté. Extrait n° 13 extrait de Noces à Tipasa. Marcel Camus. Ici même, je sais que jamais je ne m’approcherai assez du monde. Il me faut être nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celles-là, et nouer sur ma peau l’étreinte pour laquelle soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer. Entré dans l’eau, c’est le saisissement, la montée d’une glu froide et opaque, puis le plongeon dans le bourdonnement des oreilles, le nez coulant et la bouche amère – la nage, les bras vernis d’eau sortis de la mer pour se dorer au soleil et rabattus dans une torsion de tous les muscles, la course de l’eau sur mon corps, cette possession tumultueuse de l’onde par mes jambes – et l’absence d’horizon. Sur le rivage, c’est la chute dans le sable, abandonné au monde, rentré dans ma pesanteur de chair et d’os, abruti de soleil, avec, de loin en loin, un regard pour mes bras où les flaques de peau sèche découvrent, avec le glissement de l’eau, le duvet blond et la poussière de sel.
Tipasa se situe à 68 km d’Alger, ville fondée par les Phéniciens, cinq siècles avant Jésus Christ. Tipasse signifiant lieu de passage. Bonne lecture !
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